A propos des politiques publiques contracycliques

Il existe une théorie des cycles économiques, très discutée, qui prédit un enchaînement irrégulier de phases de croissances suivies de phases de contractions économiques. Certains lui accordent une vraie valeur scientifique, d’autres considèrent que simplement dire “après la pluie, le beau temps” ne constitue pas franchement une prouesse intellectuelle digne d’intérêt.

Astérix : Le Devin, de Goscinny et Uderzo

Figure 1: Astérix : Le Devin, de Goscinny et Uderzo

Et ce, d’autant plus devant l’incapacité patentée de bon nombre d’économistes “orthodoxes” dans la prédiction des dates d’enchaînement de ces cycles économiques. On pourra citer une fameuse “prévision” de Ben Bernanke en décembre 2007 :

I do not expect insolvency or near insolvency among major financial institutions

Soit 10 mois avant la faillite de la banque d’affaire américaine Lehman Brother. Ce monsieur fut président de la Réserve fédérale (banque centrale américaine) de 2006 à 2014.

Ou encore le fameux The state of macro d’Olivier Blanchard en Août 2008 qui postule que :

The state of macro is good.

Très exactement un mois avant le déclenchement de la pire crise économique du siècle. Ce Français, né à Amiens, fut chief economist du Fonds Monétaire International du 1er Septembre 2008 à 2015. On va dire qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Heureusement que nous avons aussi des économistes tel que Stéphanie Kelton, conseillère du candidat à la présidence étasunienne Bernie Sanders, reconnue comme une des 50 personnalités politique de l’année par Bloomberg pour rehausser un peu le niveau.

Mais de fait, les cycles économiques s’enchaînent, avec des récessions fréquentes, qui ont des conséquences dévastatrices en termes de coût humain : chômage de courte et longue durée, suicides, burn out, génération sacrifié.

Il me semble qu’on est en droit d’attendre d’un état social de mettre en place des mesures pour atténuer l’impact humain de ces cycles économiques, via ce qui est généralement nommé par des “politiques contracycliques”. Tel ou tel mesure politique va-t-elle amplifier les cycles économiques ? Auquel cas on les qualifiera de mesures procycliques. Ou tel ou tel mesure tendra plutôt à les réduire ? Auquel cas on les qualifiera de contracycliques.

Une politique budgétaire contracyclique injectera plus d’argent en période de récession, et en prélèvera plus en phase de croissance. Pour être plus concret, quelques exemples :

  • les mécanismes d’assurance chômage sont contracycliques : en période de hausse du chômage, l’assurance chômage compense la perte de salaire lié à la crise, et permet de maintenir le niveau de la consommation. En période de résorption du chômage, les cotisations repartent à la hausse et limite une éventuelle reprise de l’inflation.

  • la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est aussi contracyclique : en période de hausse de la consommation, les rentrés budgétaires augmentent, en période de baisse de la consommation, l’état prélèvera moins de cette taxe.

  • le crédit d’impôt recherche, qui permet aux entreprises de défiscaliser leurs dépenses d’investissements, est procyclqiue : les entreprises investissent plus en période économiquement favorable, et toucheront donc plus d’argent publique. En période de récession économiques, les entreprises baissent leurs investissements, et toucheront donc moins d’argent publique. “Libérer la croissance”, c’est aggraver la prochaine récession.

Ces quelques exemples nous permettent de préciser quelques points importants :

  1. Il existe différents critères d’évaluations des mesures politiques, leur aspect pro- ou contra-cyclique n’est pas le seul. On peut évaluer les mesures politiques selon qu’elles renforcent ou diminue les inégalités de revenu et de patrimoines, tel Thomas Piketty. Si les cotisations chômages sont progressives, mais les sommes perçues en cas de chômage plafonné, on aura là un système contracyclique lutant contre les inégalités de revenus. Autre exemple, la TVA étant la même quels que soient les revenus, et les moins aisés consommant une plus grande part de leur revenu par rapport aux plus aisés, la TVA est généralement considéré comme une taxe régressive, renforçant les inégalités, les moins aisées en payant une plus grande part de leur revenu que les plus aisés. Ainsi un fort taux de TVA sera contracyclique, mais ne résorbant aucunement les inégalités de revenus et de patrimoine. On peut (et doit) aussi évaluer l’impact environnemental des mesures. Ces différents critères, cyclicité, inégalités, environnement, sont assez indépendants les uns des autres.

  2. Certains, notamment chez les centristes, souhaitent que sur un cycle économique complet, la dépense publique soit à l’équilibre, avec certes un déficit public en période de récession, pour l’adoucir, mais compensé par un excédent budgétaire en période de croissance. Une politique contracyclique forte n’a pas vocation à être à l’équilibre budgétaire à long terme. Comme le montre brillamment la théorie monétaire moderne, la balance budgétaire à long terme est décidée par le désir d’épargne du secteur privé, sa dynamique démographique, sa balance commerciale avec l’étranger, et n’a absolument aucune raison a priori d’être à l’équilibre sur le long terme.

  3. Si l’on imagine assez bien certains gouvernements augmenter la dépense publique en période de récession, des mesures visant à ralentir la croissance en période d’expansion seront bizarrement perçues. Mais il ne s’agit pas de ça, les meilleurs politiques publiques contra-cycliques passent par des stabilisateurs automatiques : nul besoin d’augmenter la prime chômage et de baisser la TVA en période de récession, nul besoin d’augmenter les cotisations chômage et la TVA en période de reprise, il “suffit” dans l’idéal de laisser les taux au bon niveau et laisser automatiquement ces stabilisateurs économiques agir.

Il me semble que dans l’ensemble, les mesures prisent par Emmanuel Macron jusqu’à présent soit plutôt procycliques (baisse des cotisations sociales, baissent de l’assurance chômage) et plutôt inégalitaires (suppression de l’ISF, baisse des cotisations retraites sur les très haut salaires). La prochaine crise économique en France aura toutes les chances de se faire plus ressentir que la dernière.

Augmenter la TVA et diminuer la dépense publique en Grèce en 2012, une idée procyclique de merde, offerte par l’Union Européenne et le Fond Monétaire International, qui a foirée lamentablement.

Figure 2: Augmenter la TVA et diminuer la dépense publique en Grèce en 2012, une idée procyclique de merde, offerte par l’Union Européenne et le Fond Monétaire International, qui a foirée lamentablement.