La dette ! La dette ! La dette !

Le secteur public Français est en déficit budgétaire depuis au moins les années 1980. Chaque année, l’état doit donc s’endetter, de plus en plus, pour faire face à ses dépenses. Conséquence directe : la dette publique explose.

Déficit publique (en haut) et dette publique (en bas) de la France, exprimés en pourcentages du PIB.

Figure 1: Déficit publique (en haut) et dette publique (en bas) de la France, exprimés en pourcentages du PIB.

Il semble donc urgent de réduire les dépenses de l’état, augmenter ses recettes, afin commencer à rembourser une dette que nous ne voulons pas laisser à nos petits-enfants. Sinon, la dette se vengera !

Hypocrites

Il est assez facile de dénoncer l’hypocrisie de tels propos. Les personnes scandalisées par des niveaux de déficits publiques excessifs “hypothéquant l’avenir de leurs enfants” sont souvent beaucoup moins angoissées en ce qui concerne le réchauffement climatique, danger pourtant plus concret et menaçant. Curieusement aussi, ces mêmes personnes ne se scandalisent pas pareil lorsqu’il s’agit de supprimer l’impôt sur la fortune ou de réduire la fiscalité du travail que lorsqu’il s’agit du déficit de la sécu ou des caisses de retraites.

Malgré ces hypocrisies, ce discours de réduction des déficits garde un pouvoir de persuasion : il semble rationnel, de bon sens. S’assurer, au long terme, de gagner suffisamment d’argent pour pouvoir couvrir ses dépenses, n’est-ce pas là un principe de bonne gestion, après tout ?

Théorie monétaire moderne

La théorie monétaire moderne (Modern Monetary Theory, MMT en anglais, parfois aussi appelée néochartalisme) constitut un cadre théorique puissant et cohérant dénonçant l’ineptie de tels raisonnements alarmistes sur les niveaux de dettes publiques. Elle explicite le fait que le gouvernement, en tant qu’autorité ultime gérant le système monétaire de son pays, n’est pas soumis aux même contraintes financières qu’un ménage ou qu’une entreprise.

Il s’agit d’une théorie au sens scientifique, un cadre de pensée expliquant le réel, et non pas d’une “théorie” au sens policier, une simple hypothèse de travail. Contrairement à d’autres théories scientifiques, tels que la théorie quantique en physique ou la théorie néodarwinienne de l’évolution en biologie, la théorie monétaire moderne reste marginale dans son domaine. Elle n’en reste pas moins rigoureuse, appuyée par un large corpus académique produit par des universitaires reconnus, tels que L. Randal Wray, Bill Mitchel ou Stephanie Kelton. Un deuxième congrès international sur la théorie monétaire moderne est organisé à la fin du mois (Septembre 2018). Un text-book est disponible, et il sera bientôt complété.

Balances sectorielles

Ce premier billet, introductif, et donc incomplet et peut-être trop simple, vous propose d’établir une compatibilité nationale pour en déduire une vérité toute bête : l’argent dépensé par le gouvernement, mais non récupéré via taxes et impôts, cet argent constituant précisément le déficit public, où finit-il ?

Prenons l’exemple d’un pays seul utilisateur de sa monnaie, pour commencer en douceur, tel la Pologne. La monnaie polonaise, le Zloty, est soit entre les mains du secteur privé domestique (particuliers), soit dans le secteur publique (l’état polonais), soit à l’étranger. Les entreprises étant possédés pour partie par les Polonais, pour partie par l’état polonais, pour partie par des particuliers ou gouvernements étrangers, leurs avoir monétaires sont donc répartie dans les trois catégories définies précédemment.

Ainsi :

\[ secteur\ publique + secteur\ privé + secteur\ étranger = masse\ monétaire\ totale \]

D’un an sur l’autre, le secteur public a des dépenses (budget) et des recettes (taxes, impôts), le secteur privé à des dépenses et des recettes, et il en va de même pour le secteur étranger. Notons \(\Delta\) le différentiel entre gains et pertes de chaque secteur :

\[ \Delta secteur\ publique + \Delta secteur\ privé + \Delta secteur\ étranger = \Delta masse\ monétaire\ totale \]

En partant du principe que d’un point de vue comptable, l’argent ne sort pas de nulle part (nous y reviendrons sans doute dans de futurs billets) : \[ \Delta secteur\ publique + \Delta secteur\ privé + \Delta secteur\ étranger = 0\]

Exemples

Il s’agit là d’une vérité comptable, vérifiable et vérifié. Par exemple, en ce qui concerne les Etats-Unis d’Amériques (d’après des données issue de la FED de Saint-Louis) :

Balances sectorielles aux USA, exprimés en pourcentages du PIB.

Figure 2: Balances sectorielles aux USA, exprimés en pourcentages du PIB.

On voit, dans une parfaite symétrie, que la somme des trois secteurs est nulle. Remarquez aussi que le budget fédéral étasunien est en déficit chronique, prêt de 5% du PIB en 2016, et que, symétriquement, le secteur privé peut se targuer d’être en excédent chronique.

De même, pour le Royaume-Unis, d’après le très officiel rapport Economic and fiscal outlook de l’office pour la responsabilité budgétaire :

Balances sectorielles au Royaume-Uni, exprimés en pourcentages du PIB. *Public* : secteur publique, *Households* + *Corporate* = secteur privé, *Rest of world* : secteur étranger, *Discrepency* : anomalies résiduelles liés aux erreurs d’estimations, *Forecast* : prévisions.

Figure 3: Balances sectorielles au Royaume-Uni, exprimés en pourcentages du PIB. Public : secteur publique, Households + Corporate = secteur privé, Rest of world : secteur étranger, Discrepency : anomalies résiduelles liés aux erreurs d’estimations, Forecast : prévisions.

Là encore, la somme des secteurs est nulle, à part quelques imprécisions des estimations. Là encore, le secteur public est en déficit chronique, au bénéfice des foyers (household) britanniques.

Conclusion

La conséquence directe de cette vérité comptable, c’est que pour qu’un des secteurs puisse être positif, il en faudra nécessairement au moins un qui soit négatif.

Le secteur privé a souvent le désir d’accroître sa richesse au court du temps : pour que les ménages et entreprises soient satisfaits, ils souhaitent finir l’année un peu plus riche qu’ils ne l’ont commencé.

Le cas du secteur étranger est un peu particulier. Il est généralement souhaitable qu’il soit équilibré, donc proche de 0 à moyen terme (nous aurons j’espère l’occasion de revenir dessus). Un des arguments à cela est qu’il ne peut, dans le monde, n’y avoir uniquement des pays exportateurs net, il en faudra a minima un qui soit importateur net !

Si, dans un cas idéal, le secteur étranger est à l’équilibre, le secteur privé est en léger excédent pour assouvir son envie d’enrichissement, il en suit que le secteur public devra-être déficitaire.

Pour le dire autrement, imposer un excédent budgétaire publique se fera nécessairement au dépend du secteur étranger et/ou privé.

Si on suppose un secteur étranger à l’équilibre, un excédent budgétaire publique passe par l’appauvrissement (monétaire) de la population. Ce n’est sans doute pas là une sage décision de gouvernance.


Le code R utilisé pour générer certains graphiques est disponible sur GitHub.